samedi 16 juin 2018 20:00 - 22:00
Concert de musique traditionnelle de l'Inde du nord.
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La Maison Soufie - Sufi House
(Saint-Ouen-sur-Seine -
plan)
Dans le cadre du Cycle"Musiques et Traditions du Monde"
Concert de musique traditionnelle de l'Inde du nord.
Latif Khan Tabla
Serana soni Violon
Benjamin Lauber Santur, Zarb
Concert suivi d'échanges avec Laurence Lécuyer (anthropologue)
Entrée : 15€
Sérana Mesureur a fait sa formation en violon en Belgique et ensuite s'est formée en musique Indienne au Conservatoire de Rotterdam en 2006 avec Dhruba Gosh (Sarangui vocal).
Puis en Inde à Kolkata avec Indradeep Gosh (violoniste).
Aujourd'hui elle enseigne la musique Hindustanie au Conservatoire de Creteil en région Parisienne et accompagne les cours de tablas à la
Cité de la musique à Paris.
Elle continue son apprentissage à MUMBAI en Inde avec une grande violoniste : DR.N. RAJAM réputée pour son style vocale
appliqué à l'instrument : GAYAKI ANG.
DR.N.RAJAM, cette grande dame du violon Hindustani et directrice à l'Université de Bénarès a donné une place au violon qui est au départ un instrument Occidental dans le développement des Ragas.
La musique classique de l’Inde, qu’elle soit du nord (Hindoustani) ou du sud (Carnatic) ne peut être séparée du contexte social, esthétique, spirituel, traditionnel dans laquelle elle s’inscrit. Elle est à la fois l’expression d’une certaine façon d’être au monde, de s’y raconter et aussi celle d’élaborations savantes complexes sur l’esthétique, les arts et les effets de la musique sur l’âme humaine. L’un des plus anciens traité d’art dramatique, le Nāṭya Śāstra, a été rédigé au début de notre ère et traite des disciplines artistiques (danse, musique, théâtre, poésie…). L’art dans le contexte indien est à la fois une source de plaisir impliquant l’ensemble des sens et à la fois source de connaissance. A travers ce que Philippe Bruguière a nommé « la délectation du rasa », les hommes vont avoir une expérience intime et sensorielle des réalités spirituelles cachées, voilées au monde par le masque de l’ignorance. Cette déferlante sensorielle des réalités subtiles contourne le champ de la raison pour s’adresser directement à l’âme. En recevant ces réalités spirituelles par le biais de la connaissance par les sens, l’âme humaine va « goûter » aux connaissances véritables qui contiennent des révélations sur la réalité ontologique du divin et de l’existence humaine. C’est ainsi que la musique transmet les connaissances sur la vie, et sur l’au delà, tout en baignant les êtres dans un océan de délectation. Le mot rasa en sanskrit signifie « saveur ». Dans ce contexte, le savoir se goûte, se savoure, et pénètre en nous comme un parfum, une douceur sur la langue, une odeur envoûtante, douce et parfumée.
Cette terminologie nous fournit un indice sur la relation qu’ont les hommes en Inde avec le divin. Cette relation passe avant tout par les sens, et l’engagement du corps dans les rites de l’Inde est frappant, quelle que soit la tradition à laquelle ils se rattachent. Dans les temples hindous, sikhs ou jaïns, les sanctuaires soufis, les gens touchent, embrassent, boivent et incorporent des nourritures consacrées, reniflent, touchent. La plupart des rites sont encadrés, baignés par la musique sacrée. Dans les temples hindous, le choix des mantras, de la tonalité de la note (raga) qui les accompagne, dépend des heures du jour et de la saveur spirituelle du moment. Il en est de même avec les chants dévotionnels sikhs, puisqu’à chaque hymne correspond une gamme et une tonalité particulière. Dans les sanctuaires soufis (dargah), une offrande musicale est donnée au saint par les qawwals (musiciens soufis, dont la tradition remonte à Hazrat Moinuddin Chisti, fondateur de la tariqa Chistiya). Dans tous ces contextes, le rasa est établi lors de l’interaction entre les musiciens et l’audience. C’est la qualité de la réception de l’œuvre musicale, de l’écoute, l’alchimie de la disposition intérieure des auditeurs et des musiciens qui va produire l’émotion esthétique et donner à la performance son caractère unique, magique, lors de laquelle ciel et terre semblent se rencontrer. Selon Philippe Bruguière, la rasa « est une gustation intuitive de l’œuvre et procure une joie ineffable. L’expérience que procure la gustation du rasa sera même comparée à celle qui transporte le mystique aux cimes de la félicité ».
Partout en Inde, du nord au sud et d’est en ouest, un soin est accordé à la musique, à l’univers sonore qui encadre le rite mais aussi la vie quotidienne. L’univers sonore de l’Inde est particulièrement riche et le monde social, marchand, est lui aussi encadré par l’harmonie musicale. Rares sont les voyages en bus qui ne soient pas rythmés par la musique, quelle qu’elle soit, diffusée à la radio, ou les voyages en train lors desquels des musiciens itinérants échangent leurs talents contre quelques roupies. La musique en Inde est comme le fil d’argent qui relie les perles de la vie sociale, économique, relationnelle et spirituelle. Elle établit un lien de continuité entre les dimensions de l’être (mentale, émotionnelle et spirituelle) et cimente les aspects de la vie quotidienne. Ainsi, le monde phénoménal peut rejoindre le monde cosmique et réunir les êtres. C’est ce que nous tenterons de montrer en se délectant du rasa produit par les musiciens…
Laurence Lécuyer