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29 janvier 2024
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Initiation et Réalisation spirituelle, René Guénon
La conception ordinaire suivant laquelle lâesprit est considĂ©rĂ© comme logĂ© en quelque sorte dans le corps ne peut manquer de sembler fort Ă©trange Ă quiconque possĂšde seulement les donnĂ©es mĂ©taphysiques les plus Ă©lĂ©mentaires, et cela non pas surtout parce que lâesprit ne saurait ĂȘtre vĂ©ritablement « localisĂ© », mais parce que, mĂȘme si ce nâest lĂ quâune « façon de parler » plus ou moins symbolique, elle apparaĂźt Ă premiĂšre vue comme impliquant un illogisme manifeste et un renversement des rapports normaux. En effet, lâesprit nâest autre quâĂtmĂą, et il est le principe de tous les Ă©tats de lâĂȘtre, Ă tous les degrĂ©s de sa manifestation ; or toutes choses sont nĂ©cessairement contenues dans leur principe, et elles ne sauraient aucunement en sortir en rĂ©alitĂ©, ni Ă plus forte raison lâenfermer dans leur propres limites ; ce sont donc tous ces Ă©tats de lâĂȘtre, et par consĂ©quent aussi le corps qui nâest quâune simple modalitĂ© de lâun dâeux, qui doivent en dĂ©finitive ĂȘtre contenus dans lâesprit, et non pas lâinverse. Le « moins » ne peut pas contenir le « plus », pas plus quâil ne peut le produire ; ceci est dâailleurs applicable Ă diffĂ©rents niveaux, ainsi que nous le verrons par la suite ; mais, pour le moment, nous envisageons le cas le plus extrĂȘme, celui qui concerne le rapport entre le principe mĂȘme de lâĂȘtre et la modalitĂ© la plus restreinte de sa manifestation individuelle humaine. On pourrait ĂȘtre tentĂ© de conclure immĂ©diatement que la conception courante nâest due quâĂ lâignorance de la grande majoritĂ© des hommes et ne correspond quâĂ une simple erreur de langage, que tous rĂ©pĂštent par la force de lâhabitude et sans y rĂ©flĂ©chir ; pourtant, la question nâest pas si simple au fond, et cette erreur, si câen est une, a des raisons bien autrement profondes quâon ne le croirait tout dâabord.
Il doit ĂȘtre bien entendu, avant tout, que lâimage spatiale du « contenant » et du « contenu », dans ces considĂ©rations, ne devra jamais ĂȘtre prise littĂ©ralement, puisquâun seul des deux termes envisagĂ©s, le corps, possĂšde effectivement le caractĂšre spatial, lâespace lui-mĂȘme nâĂ©tant rien de plus ni dâautre quâune des conditions propres Ă lâexistence corporelle. Lâusage dâun tel symbolisme spatial, aussi bien que dâun symbolisme temporel, nâen est pas moins, comme nous lâavons expliquĂ© Ă maintes reprises, non seulement lĂ©gitime, mais mĂȘme inĂ©vitable, dĂšs lors que nous devons forcĂ©ment nous servir dâun langage qui, Ă©tant celui de lâhomme corporel, est lui-mĂȘme soumis aux conditions qui dĂ©terminent lâexistence de celui-ci comme tel ; il suffit de ne jamais oublier que tout ce qui nâappartient pas au monde corporel ne saurait, par lĂ mĂȘme, ĂȘtre en rĂ©alitĂ© ni dans lâespace ni dans le temps.
Il nous importe peu, dâautre part, que des philosophes aient cru devoir poser et discuter une question comme celle dâun « siĂšge de lâĂąme », en paraissant lâentendre en un sens tout Ă fait littĂ©ral, ce quâils appellent « Ăąme » pouvant dâailleurs ĂȘtre lâesprit, dans la mesure du moins oĂč ils le conçoivent, suivant la confusion habituelle du langage occidental moderne Ă cet Ă©gard. Il va de soi, en effet, que, pour nous, les philosophes profanes ne se distinguent en rien du vulgaire et que leurs thĂ©ories nâont pas plus de valeur que la simple opinion courante ; ce ne sont donc assurĂ©ment pas leurs prĂ©tendus « problĂšmes » qui pourraient nous donner Ă penser quâune sorte de « localisation » de lâesprit dans le corps reprĂ©sente autre chose quâune erreur pure et simple ; mais ce sont les doctrines traditionnelles elles-mĂȘmes qui nous montrent quâil serait insuffisant de sâen tenir lĂ et que ce sujet requiert un examen plus approfondi.
On sait en effet que, suivant la doctrine hindoue, jĂźvĂątmĂą, qui est en rĂ©alitĂ© ĂtmĂą mĂȘme, mais considĂ©rĂ© spĂ©cialement dans son rapport avec lâindividualitĂ© humaine, rĂ©side au centre de cette individualitĂ©, qui est dĂ©signĂ© symboliquement comme le cĆur ; cela ne veut nullement dire, bien entendu, quâil soit comme enfermĂ© dans lâorgane corporel qui porte ce nom, ni mĂȘme dans un organe subtil correspondant ; mais il nâen est pas moins vrai que cela implique que, dâune certaine façon, il se situe dans lâindividualitĂ©, et mĂȘme plus prĂ©cisĂ©ment dans une partie, la plus centrale, de cette individualitĂ©. ĂtmĂą ne peut ĂȘtre vĂ©ritablement ni manifestĂ© ni individualisĂ© ; Ă plus forte raison ne peut-il ĂȘtre incorporĂ© ; cependant, en tant que jĂźvĂątmĂą, il apparaĂźt comme sâil Ă©tait individualisĂ© et incorporĂ© ; cette apparence ne peut ĂȘtre Ă©videmment quâillusoire Ă lâĂ©gard dâĂtmĂą, mais elle nâen existe pas moins Ă un certain point de vue, celui-lĂ mĂȘme oĂč jĂźvĂątmĂą semble se distinguer dâĂtmĂą, et qui est celui de la manifestation individuelle humaine. Câest donc Ă ce point de vue quâon peut dire que lâesprit est situĂ© dans lâindividu ; et mĂȘme, au point de vue plus particulier de la modalitĂ© corporelle de celui-ci on pourra dire aussi, Ă condition de ne pas y voir une « localisation » littĂ©rale, quâil est situĂ© dans le corps ; ce nâest donc pas lĂ une erreur Ă proprement parler, mais seulement lâexpression dâune illusion qui, pour ĂȘtre telle quant Ă la rĂ©alitĂ© absolue, nâen correspond pas moins Ă un certain degrĂ© de la rĂ©alitĂ©, celui mĂȘme des Ă©tats de manifestation auxquels elle se rapporte, et qui ne devient une erreur que si lâon prĂ©tend lâappliquer Ă la conception de lâĂȘtre total, comme si le principe mĂȘme de celui-ci pouvait ĂȘtre affectĂ© ou modifiĂ© par un de ses Ă©tats contingents.
Nous avons fait, dans ce que nous venons de dire, une distinction entre lâindividualitĂ© intĂ©grale et sa modalitĂ© corporelle, la premiĂšre comprenant en outre toutes les modalitĂ©s subtiles ; et, Ă ce propos, nous pouvons ajouter une remarque qui, bien quâaccessoire, aidera sans doute Ă comprendre ce que nous avons principalement en vue. Pour lâhomme ordinaire, dont la conscience nâest en quelque sorte « Ă©veillĂ©e » que dans la seule modalitĂ© corporelle, ce qui est perçu plus ou moins obscurĂ©ment des modalitĂ©s subtiles apparaĂźt comme inclus dans le corps, parce que cette perception ne correspond effectivement quâĂ leurs rapports avec celui-ci, plutĂŽt quâĂ ce quâelles sont en elles-mĂȘmes ; mais, en rĂ©alitĂ©, elles ne peuvent pas ĂȘtre contenues ainsi dans le corps et comme bornĂ©es par ses limites, dâabord parce que câest en elles quâest le principe immĂ©diat de la modalitĂ© corporelle, et ensuite parce quâelles sont susceptibles dâune extension incomparablement plus grande par la nature mĂȘme des possibilitĂ©s quâelles comportent. Aussi, quand ces modalitĂ©s sont effectivement dĂ©veloppĂ©es, apparaissent-elles comme des « prolongements » sâĂ©tendant en tous sens au-delĂ de la modalitĂ© corporelle, qui ainsi se trouve comme entiĂšrement enveloppĂ©e par elles ; il y a donc Ă cet Ă©gard pour celui qui a rĂ©alisĂ© lâindividualitĂ© intĂ©grale, une sorte de « retournement », si lâon peut sâexprimer ainsi, par rapport au point de vue de lâhomme ordinaire. Dans ce cas, les limitations individuelles ne sont dâailleurs pas encore dĂ©passĂ©es, et câest pourquoi nous parlions au dĂ©but dâune application possible Ă diffĂ©rents niveaux ; par analogie, on pourra comprendre dĂšs maintenant quâun « retournement » sâopĂšre Ă©galement, dans un autre ordre, quand lâĂȘtre est passĂ© Ă la rĂ©alisation supra-individuelle. Tant que lâĂȘtre nâatteignait ĂtmĂą que dans ses rapports avec lâindividualitĂ©, câest-Ă -dire comme jĂźvĂątmĂą, celui-ci lui apparaissait comme inclus dans cette individualitĂ©, et ne pouvait mĂȘme pas lui apparaĂźtre autrement puisquâil Ă©tait incapable de franchir les bornes de la condition individuelle ; mais quand il atteint ĂtmĂą directement et tel quâil est en soi, cette mĂȘme individualitĂ©, et avec elle tous les autres Ă©tats, individuels ou supra-individuels, lui apparaissent au contraire comme compris dans ĂtmĂą, comme ils le sont en effet au point de vue de la rĂ©alitĂ© absolue, puisquâils ne sont rien dâautre que les possibilitĂ©s mĂȘmes dâĂtmĂą, hors duquel rien ne saurait vĂ©ritablement ĂȘtre sous quelque mode que ce soit.
Nous avons prĂ©cisĂ©, dans ce qui prĂ©cĂšde, les limites dans lesquelles il est vrai, Ă un point de vue relatif, de dire que lâesprit est contenu, soit dans lâindividualitĂ© humaine, soit mĂȘme dans le corps ; et, de plus, nous avons indiquĂ© la raison pour laquelle il en est ainsi, raison qui est en somme inhĂ©rente Ă la condition mĂȘme de lâĂȘtre pour lequel ce point de vue est lĂ©gitime et valable. Cependant, ce nâest pas tout encore, et il faut remarquer que lâesprit est envisagĂ© comme situĂ©, non pas seulement dans lâindividualitĂ© en gĂ©nĂ©ral, mais en son point central, auquel correspond le cĆur dans lâordre corporel ; ceci appelle dâautres explications, qui permettront de relier entre eux les deux points de vue apparemment opposĂ©s se rapportant respectivement Ă la rĂ©alitĂ© relative et contingente de lâindividu et Ă la rĂ©alitĂ© absolue dâĂtmĂą. Il est facile de se rendre compte que ces considĂ©rations doivent reposer essentiellement sur une application du sens inverse de lâanalogie, application qui montre en mĂȘme temps, dâune façon particuliĂšrement nette, les prĂ©cautions quâexige la transposition du symbolisme spatial, puisque, contrairement Ă ce qui a lieu dans lâordre corporel, câest-Ă -dire dans lâespace entendu au sens propre et littĂ©ral, on peut dire que, dans lâordre spirituel, câest lâintĂ©rieur qui enveloppe lâextĂ©rieur, et câest le centre qui contient toutes choses.
Une des meilleures « illustrations » de lâapplication du sens inverse est donnĂ©e par la reprĂ©sentation des diffĂ©rents cieux, correspondant aux Ă©tats supĂ©rieurs de lâĂȘtre, par autant de cercles ou de sphĂšres concentriques, telle quâon la trouve par exemple, chez Dante. Dans cette reprĂ©sentation, il semble, tout dâabord que les cieux, sâils sont plus vastes, câest-Ă -dire moins limitĂ©s, Ă mesure quâils sont plus Ă©levĂ©s, sont aussi plus « extĂ©rieurs » en ce sens quâils sont plus Ă©loignĂ©s du centre, celui-ci Ă©tant alors constituĂ© par le monde terrestre ; câest lĂ le point de vue de lâindividualitĂ© humaine, qui est prĂ©cisĂ©ment reprĂ©sentĂ©e par la terre, et ce point de vue est vrai dâune vĂ©ritĂ© relative, en tant que cette individualitĂ© est rĂ©elle dans son ordre et que câest dâelle quâil faut nĂ©cessairement partir pour sâĂ©lever aux Ă©tats supĂ©rieurs. Mais, quand lâindividualitĂ© est dĂ©passĂ©e, le « renversement » dont nous avons parlĂ© (et qui est rĂ©ellement un « redressement » de lâĂȘtre) sâopĂšre, et tout lâensemble de la reprĂ©sentation symbolique se trouve en quelque sorte retournĂ© : câest alors le ciel le plus Ă©levĂ© de tous qui est en mĂȘme temps le plus central, puisque câest en lui que rĂ©side le centre universel lui-mĂȘme ; et, par contre, le monde terrestre est maintenant situĂ© Ă la pĂ©riphĂ©rie la plus extĂ©rieure. Il faut remarquer en outre que, dans ce « renversement » quant Ă la situation, le cercle qui correspond au ciel le plus Ă©levĂ© doit cependant rester le plus grand de tous et envelopper tous les autres (comme, suivant la tradition islamique, le « TrĂŽne » divin enveloppe tous les mondes) ; il faut bien quâil en soit ainsi, puisque, dans la rĂ©alitĂ© absolue, câest le centre qui contient tout. LâimpossibilitĂ© de figurer matĂ©riellement ce point de vue, suivant lequel ce qui est le plus grand est en mĂȘme temps le plus central, nâexprime en somme rien dâautre que les limitations mĂȘmes auxquelles le symbolisme gĂ©omĂ©trique est inĂ©vitablement soumis, du fait quâil nâest quâun langage empruntĂ© Ă la condition spatiale, câest-Ă -dire Ă une des conditions qui sont propres Ă notre monde corporel, et qui sont par consĂ©quent liĂ©es exclusivement Ă lâautre point de vue, celui de lâindividualitĂ© humaine.
En ce qui concerne le centre, on voit nettement ici, par le rapport inverse qui existe entre le centre vĂ©ritable, qui est celui de lâĂȘtre total ou de lâUnivers, suivant que lâon envisage les choses au point de vue « microcosmique » ou « macrocosmique », et le centre de lâindividualitĂ© ou de son domaine particulier dâexistence, on voit, disons-nous, comment, ainsi que nous lâavons dĂ©jĂ exposĂ© en dâautres occasions, ce qui est le premier et le plus grand dans lâordre de la rĂ©alitĂ© principielle devient dâune certaine façon (sans pourtant en ĂȘtre aucunement altĂ©rĂ© ou modifiĂ© en soi-mĂȘme) le dernier et le plus petit dans lâordre des apparences manifestĂ©es1. Il sâagit en somme, pour continuer Ă nous servir du symbolisme spatial, du rapport du point gĂ©omĂ©trique avec ce quâon peut appeler analogiquement le point mĂ©taphysique : celui-ci est le vĂ©ritable centre primordial, qui contient en soi toutes les possibilitĂ©s, et qui est donc ce quâil y a de plus grand ; il nâest aucunement « situĂ© », car rien ne peut le contenir ou le limiter, et ce sont au contraire toutes choses qui se situent par rapport Ă lui (il va de soi que ceci encore doit ĂȘtre entendu symboliquement, puisquâil ne sâagit pas uniquement en cela des seules possibilitĂ©s spatiales). Quant au point gĂ©omĂ©trique, qui est situĂ© dans lâespace, il est Ă©videmment, et mĂȘme au sens littĂ©ral, ce quâil y a de plus petit, puisquâil est sans dimensions, câest-Ă -dire quâil nâoccupe rigoureusement aucune Ă©tendue ; mais ce « rien » spatial correspond directement au « tout » mĂ©taphysique, et ce sont lĂ , pourrait-on dire, les deux aspects extrĂȘmes de lâindivisibilitĂ©, envisagĂ©e respectivement dans le principe et dans la manifestation. Pour ce qui est de la considĂ©ration du « premier » et du « dernier », il suffit, Ă cet Ă©gard, de rappeler ce que nous avons dĂ©jĂ expliquĂ© prĂ©cĂ©demment, que le point le plus haut a son reflet direct au point le plus bas ; et, Ă ce symbolisme spatial, on peut ajouter aussi un symbolisme temporel, suivant lequel ce qui est premier dans le domaine principiel, et par consĂ©quent dans le « non-temps », apparaĂźt en dernier dans le dĂ©veloppement de la manifestation2.
Il est facile de faire lâapplication de tout ceci Ă ce que nous avons envisagĂ© en premier lieu : câest en effet lâesprit (ĂtmĂą) qui est vĂ©ritablement le centre universel contenant toutes choses3 ; mais, en se reflĂ©tant dans la manifestation humaine, il apparaĂźt par lĂ mĂȘme comme « localisĂ© » au centre de lâindividualitĂ©, et mĂȘme, plus prĂ©cisĂ©ment, au centre de sa modalitĂ© corporelle, puisque celle-ci, en tant quâelle est le terme de la manifestation humaine, en est aussi la modalitĂ© « centrale », de sorte que câest bien son centre qui est proprement, par rapport Ă lâindividualitĂ©, le reflet direct et la reprĂ©sentation du centre universel. Ce reflet nâest assurĂ©ment quâune apparence, au mĂȘme titre que la manifestation individuelle elle-mĂȘme ; mais, tant que lâĂȘtre est limitĂ© par les conditions individuelles, cette apparence est pour lui la rĂ©alitĂ©, et il ne peut en ĂȘtre autrement, puisquâelle est exactement du mĂȘme ordre que sa conscience actuelle. Câest seulement lorsque lâĂȘtre a dĂ©passĂ© ces limites que lâautre point de vue devient rĂ©el pour lui comme il lâest (et lâa toujours Ă©tĂ©) dâune façon absolue ; son centre est alors dans lâuniversel et lâindividualitĂ© (et Ă plus forte raison le corps) nâest plus quâune des possibilitĂ©s qui sont contenues dans ce centre ; et, par le « retournement » qui est ainsi effectuĂ©, les rapports vĂ©ritables de toutes choses se trouvent rĂ©tablis, tels quâils nâont jamais cessĂ© dâĂȘtre pour lâĂȘtre principiel.
Nous ajouterons que ce « retournement » est en Ă©troit rapport avec ce que le symbolisme kabbalistique dĂ©signe comme le « dĂ©placement des lumiĂšres », et aussi avec cette parole que la tradition islamique met dans la bouche des awliyĂą. « Nos corps sont nos esprits, et nos esprits sont nos corps » (ajsĂąmnĂą arwĂąhnĂą, wa arwĂąhnĂą ajsĂąmnĂą), indiquant par lĂ non seulement que tous les Ă©lĂ©ments de lâĂȘtre sont complĂštement unifiĂ©s dans lâ« IdentitĂ© SuprĂȘme », mais aussi que le « cachĂ© » est alors devenu lâ« apparent » et inversement. Suivant la tradition islamique Ă©galement, lâĂȘtre qui est passĂ© de lâautre cĂŽtĂ© du barzakh est en quelque sorte Ă lâopposĂ© des ĂȘtres ordinaires (et câest dâailleurs lĂ encore une stricte application du sens inverse Ă lâanalogie de lâ« Homme Universel » et de lâhomme individuel) : « Sâil marche sur le sable, il nây laisse aucune trace ; sâil marche sur le rocher, ses pieds y marquent leur empreinte4. Sâil se tient au soleil, il ne projette pas dâombre ; dans lâobscuritĂ©, une lumiĂšre Ă©mane de lui5.
ââââââââââ
[1] Cf. les textes des Upanishads que nous avons cités à diverses reprises à ce sujet, ainsi que la parabole évangélique du « grain de sénevé ».
[2] Dans la tradition islamique, le ProphĂšte est Ă la fois « le premier de la crĂ©ation de Dieu » (awwal KhalqiâLlah) quant Ă sa rĂ©alitĂ© principielle (en-nĂ»r el-mohammedĂź), et « le sceau (câest-Ă -dire le dernier) des envoyĂ©s de Dieu » (KhĂątam rusuliâLlah) quant Ă sa manifestation terrestre ; il est ainsi « le premier et le dernier » (el-awwal wa el-akher) par rapport Ă la crĂ©ation (bin-nisbuti lil-Khalq), de mĂȘme quâAllah est « le Premier et le Dernier » au sens absolu (mutlaqan). â Dans la tradition chrĂ©tienne Ă©galement, le Verbe est « lâAlpha et lâOmĂ©ga, le commencement et la fin » de toutes choses.
[3] Nous rappellerons Ă ce propos que, dans la tradition islamique, la LumiĂšre primordiale (en-nĂ»r el-mohammedĂź, suivant ce qui a Ă©tĂ© dit dans la note prĂ©cĂ©dente) est aussi lâEsprit (Er-RĂ»h), au sens total et universel de ce mot ; on sait, dâautre part, que la tradition chrĂ©tienne identifie la LumiĂšre au Verbe lui-mĂȘme.
[4] Ceci a un rapport Ă©vident avec le symbolisme des « empreintes de pieds » sur les rochers, qui remonte aux Ă©poques « prĂ©historiques » et qui se retrouve Ă peu prĂšs dans toutes les traditions ; sans entrer prĂ©sentement Ă ce sujet dans des considĂ©rations trop complexes, nous pouvons dire que, dâune façon gĂ©nĂ©rale, ces empreintes reprĂ©sentent la « trace » des Ă©tats supĂ©rieurs dans notre monde.
[5] Nous rappellerons encore que lâesprit correspond Ă la lumiĂšre, et le corps Ă lâombre ou Ă la nuit ; câest donc lâesprit lui-mĂȘme qui enveloppe alors toutes choses dans son propre rayonnement.
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